
Cette affaire du tribunal a un lien avec le récent incendie d’appartement au Clos-des-Roses à Compiègne. Nabil Ahdoudi, prévenu, comparaît pour avoir occupé ce logement du square Blaise-Pascal en contraignant son occupant à l’héberger sous la menace d’une arme de décembre à avril. C’est du moins la version du plaignant, sous curatelle, qui a dénoncé les faits à la police. «Il y a un individu sous mon toit, qui m’oblige à trafiquer des stupéfiants avec lui», a-t-il déclaré le 18 avril.
A l’issue de l’audience, Nabil Ahdoudi sera relaxé de cette violation de domicile. Mais condamné pour détention de stupéfiants, retrouvés dans l’appartement.
L’intrus présumé ne vivait plus chez lui depuis sa détention provisoire, mais l’occupant de l’appartement a incendié son logement. Ce qui s’apparente à une tentative de suicide. Dans la nuit du lundi 2 au mardi 3 juin, 52 personnes ont été évacuées, 5 autres intoxiquées emmenées à l’hôpital. L’appartement de l’incendiaire était totalement sinistré et 12 autres logements étaient sinistrés par l’eau des pompiers.
Le plaignant appelle la police pour faire partir «l’intrus»
Le 18 avril à 15h10, après avoir, sans résultat, prévenu sa curatrice et sa sœur de la présence de Nabil Ahdoudi dans son appartement, l’occupant appelle la police. Il désigne un véhicule Renault Modus, «dont j’héberge le propriétaire par crainte», ajoutant que ce véhicule contient de la drogue. Les policiers se rendent sur place, constatent qu’un homme s’y trouve. Celui-ci tente de fuir avant son interpellation. «J’ai instinctivement couru parce que j’ai eu peur», dit-il.
Rapidement rattrapé, Nabil Ahdoudi a du cannabis sur lui et 125€ en liquide. Il n’a plus le permis de conduire, annulé faute de points. Pourtant, le moteur tournait quand les policiers se sont approchés. Ils fouillent le véhicule, plus spécialement dans l’appui-tête avant droit, comme le leur a recommandé l’auteur de l’appel. Ils y trouvent de la drogue de synthèse et de la cocaïne. «Je n’étais pas au courant de la présence de ces stupéfiants», dit le prévenu à la barre. Pourtant, la voiture lui appartient bien.
Durant la perquisition au domicile de la victime, Nabil Ahdoudi dit aux policiers qu’il n’a rien à faire là : «J’habite pas là.» Dans la chambre qu’il occuperait depuis cinq mois, selon le plaignant de la violation de domicile, les policiers trouvent 610€. Et un téléphone iPhone 11, dont il ne donnera pas le code de déverrouillage. Sous l’évier, il y a un pistolet automatique, de calibre 9mm. C’est l’arme avec laquelle il l’aurait contraint à l’héberger. «Je ne sais pas à qui appartient cette arme dont j’ignorais l’existence», assure-t-il.
«C’est lui qui m’a proposé de m’héberger», dément le prévenu
«J’ai subi des menaces de mort si je le dénonçais, reprend le plaignant. J’ai dû payer l’assurance de sa voiture. Il m’obligeait à venir avec lui vendre de la drogue. J’ai peur des représailles.» Le prévenu l’aurait rassuré sur la présence de stupéfiants à son domicile : «T’inquiète pas, j’ai mis la drogue dans un appartement du quatrième.»
Le prévenu nie la violation de domicile. «C’est totalement faux, assure Nabil Ahdoudi. C’est un ami d’enfance que j’ai retrouvé. J’étais dans la difficulté, après une séparation douloureuse, la perte de mon logement… Il a spontanément proposé de m’héberger.» Le plaignant l’accuse d’avoir profité d’une hospitalisation pour s’installer chez lui. «J’étais déjà chez lui avant qu’il se fasse hospitaliser, dément-il. Il m’a demandé de rester avec lui parce qu’il s’était fait séquestrer par des gens de l’immeuble. Je ne l’ai jamais menacé ni contraint de quoi que ce soit.»
Sur les stupéfiants dont se sont saisi les enquêteurs : «La drogue n’est pas à nous. On nous a proposé 1000€ à nous deux pour la garder.»
Le casier judiciaire de Nabil Ahdoudi présente cinq condamnations entre 2009 et 2023. Parmi lesquelles : vol avec violence, infractions routières, refus d’obtempérer, conduite en état d’ivresse, et violences conjugales.
Le plaignant avait sollicité un déménagement en mairie
La curatrice du plaignant témoigne à la barre. «C’est une personne agréable mais angoissée depuis quelques mois. Il demandait d’être hospitalisé pour éviter de faire des bêtises. Il m’appelait tous les jours pour me dire qu’il avait peur de la personne qui vivait chez elle. Qu’il était sous la menace d’une arme. Il n’a pas osé déposer plainte.»
Suivi par l’Association de protection sociale et juridique de l’Oise (APSJO), il avait eu un comportement inquiétant en mairie de Compiègne, avant d’incendier son appartement. «Connu pour ses troubles psychiques, il avait sollicité une mutation de logement, a même expliqué le maire Philippe Marini. Mes collaborateurs l’avaient reçu le 2 mai. Profondément perturbé, il a exprimé des idées suicidaires explicites. Demandant une hospitalisation et allant jusqu’à menacer de se jeter par la fenêtre du bureau.»
«Si mon client n’est pas à l’audience, c’est parce qu’il est hospitalisé sous contrainte pour ces idées suicidaires, plaide maître Florence Danne-Thiéfine, pour la partie civile. Cette dépression l’a conduit à une tentative de suicide. Il a mis le feu à son appartement. Ce n’est pas un petit appel au secours. Voilà dans quel état il est ! Il se décrit lui-même comme fragile et naïf…»
Concernant son appel à la police : «C’était le seul moyen que ça s’arrête. Il l’a menacé de mort, voulait qu’il travaille pour lui… Là, c’était trop. Je salue ce courage.»
«De la drogue de synthèse, bien cachée», note le procureur
«Il n’y aurait pas d’audience aujourd’hui si la victime n’avait pas pris son téléphone, approuve le procureur Guillaume Théobald. Le prévenu n’avait jamais prévenu le SPIP qu’il vivait chez la victime. Justement parce qu’il s’y est introduit par la contrainte. Et quel serait l’intérêt pour le plaignant de dénoncer un trafic pour lequel il serait poursuivi ? Parce que ce n’est pas lui.»
Il souligne un casier judiciaire relativement fourni. Et insiste sur la nature des stupéfiants retrouvés : «De la drogue de synthèse, de la drogue dure… pas des petites quantités, soigneusement cachées…»
Le procureur requiert vingt-quatre mois de prison dont neuf mois avec sursis probatoire pendant deux ans. Avec interdiction de contact et de se présenter au domicile du plaignant, obligation de l’indemniser. Et obligation de chercher du travail et de repasser le permis de conduire. Il requiert la révocation du sursis probatoire pour les violences conjugales, à hauteur de trois mois.
«Le plaignant est paranoïaque, et il faudrait croire tout ce qu’il dit»
Maître Adel Farès défend le prévenu. «Je porte la voix de Nabil Ahdoudi, une personne décrite comme “un salaud”. A entendre la partie civile, vous n’auriez pas d’autre choix que de le condamner sévèrement… A l’inverse, le plaignant est présenté comme schizophrène, paranoïaque… Pourtant, tout ce qu’il vous dit est pris pour vérité. Mais sa propre sœur a peur de son frère : “il ne faut pas croire tout ce qu’il dit.”»
Et que dit le plaignant ? «Il dit que M. Ahdoudi l’oblige à l’accompagner pour participer à des ventes de stupéfiants. Quel serait l’intérêt d’emmener quelqu’un d’incontrôlable, alors qu’il vaut mieux être discret ?»
Pour la défense, il n’existe aucun élément objectif du fait qu’il l’obligeait à l’héberger. Selon Adel Farès, rien ne prouve non plus qu’il savait que de la drogue était cachée dans l’appui-tête.
«Ce dossier, conclut-il, c’est la rencontre de deux personnes abîmées par la vie. Il faudrait extirper mon client de Compiègne. C’est possible, grâce à des possibilités d’hébergement dans sa famille.»
Relaxé de la violation de domicile
«Vous n’entendrez plus parler de moi», dit le prévenu, dernier à s’exprimer
Le tribunal le relaxe de ne pas avoir donné son code de téléphone, mais aussi de la détention du pistolet et, surtout, de la violation de domicile.
Déclaré coupable du reste, il écope de quatre mois ferme. Le tribunal révoque le précédent sursis à hauteur de trois mois. Ce qui fait sept mois en tout, à effectuer sous détention à domicile sous surveillance électrique.
Le tribunal prononce la confiscation de l’argent et de son véhicule. Il a interdiction de détenir une arme pendant 5 ans.